Total Articulations

Meris Angioletti, Kim Farkas, Corinna Gosmaro, Francesco Lo Savio, Isaac Lythgoe, Nene Martelli, Daniele Milvio, Winnie Mo Rielly
© Courtesy of Meris Angioletti, Kim Farkas, Corinna Gosmaro, Francesco Lo Savio, Isaac Lythgoe, Nene Martelli, Daniele Milvio, and Winnie Mo Rielly
© Credits photo : Nicolas Brasseur

Meris Angioletti, Kim Farkas, Corinna Gosmaro, Francesco Lo Savio, Isaac Lythgoe, Nene Martelli, Daniele Milvio, Winnie Mo Rielly

Curated by Corinna Gosmaro

5 juin — 26 juillet 2025

13 rue Béranger, 75003 Paris

Il y a quelque chose d’assez stupéfiant dans notre capacité à reconnaître des personnes de dos — surtout de loin, et en particulier lorsqu’il s’agit de personnes que nous ne connaissons pas bien. Nous n’avons pas une perception détaillée de leur corps ; en général, nous ne distinguons pas leurs vêtements, et nous ne pouvons certainement ni les sentir ni les toucher. Et pourtant, d’une certaine manière, quelque chose en nous parvient à saisir leur identité.

Cela tient à leur manière de se tenir, à la façon dont ils portent leur corps. Est-ce une question de style ? Si c’est le cas, alors il s’agit de ce que Merleau-Ponty décrit comme une « modalité d’être au monde ». Cela renvoie au schéma corporel-expressif qui non seulement structure mais articule notre relation au monde.

Il est ici question de notre posture, au sens le plus large et le plus existentiel du terme.

Les articulations sont littéralement ce qui rend la posture possible — et au-delà du simple jeu de mots, elles permettent au corps d’articuler sa posture en réponse au monde : objets, autres, espace, états émotionnels.

La posture est donc une configuration expressive rendue possible par des articulations à la fois physiologiques et existentielles — assurant une continuité dans un corps qui est à la fois tourné vers le monde et constitué par lui : enchevêtré avec le monde, formé par lui, et expressif en son sein.

Cet enchevêtrement — entre corps, perception et monde — n’est pas figé mais sans cesse reconfiguré à travers l’interaction.

Le corps n’est pas une entité close, mais un seuil poreux qui trouve son unité dans son exposition continue au monde. C’est un champ relationnel ouvert, toujours en devenir.

Un corps fragmenté et désuni, jamais totalement présent à lui-même jusqu’à ce qu’il s’unifie avec tout ce qu’il n’est pas, dans l’acte même de percevoir. La perception n’est pas une oscillation — c’est une action, une participation, une articulation.

Ce n’est pas un hasard si Art et Articulation partagent la même racine indo-européenne ar, signifiant joindre, assembler, relier. Cette connexion — tout comme celles à l’intérieur de notre propre corps — peut être fixe, semi-fixe, mobile, ou même en mouvement : le processus continu de l’articulation.

L’expression d’une idée ou d’un sentiment contracte, contorsionne et dilate le corps — émettant par le son, libérant par l’émotion. Nous articulons par l’action, parfois en créant des objets étranges — des œuvres d’art ou ce que le philosophe américain Alva Noë appelle des « outils étranges » — qui aident le corps à révéler sa propre organisation et à se réorganiser continuellement dans le processus.

L’art, sous toutes ses formes, articule. Les articulations sont des lieux de potentiel : elles permettent à la fois le mouvement et la stabilisation, la connexion et la différenciation. Elles constituent ainsi une métaphore idéale pour comprendre comment la posture émerge comme une structure dynamique et expressive — à la fois physique et symbolique.

Les œuvres d’art sont des articulations — de véritables articulations — entre le sens du réel et le sens du possible. Elles encapsulent cet enchevêtrement, en constante variation, dans une boucle de retour vers le spectateur. L’artiste peut choisir de répondre — ou non — à l’appel de la responsabilité créative qu’évoquait déjà Robert Musil au début du XXe siècle dans L’Homme sans qualités : relier à la réalité ce qui n’existe pas encore mais pourrait exister.

Même en temps de crise, il reste possible de construire à travers une pensée ouverte et ironique — reconfigurant nos vies comme si chaque jour recelait le potentiel d’être recomposé et réorganisé de manière nouvelle.

En 1962, l’écrivain américain James Baldwin écrivait : « L’artiste ne peut ni ne doit rien tenir pour acquis, mais doit aller au cœur de chaque réponse et exposer la question que la réponse dissimule. »

Les artistes articulent par le processus de création, mais pour que cela soit pleinement effectif, il doit s’agir d’une articulation totale.

TOTAL ARTICULATIONS  est une exposition collective dans laquelle les pratiques des artistes invités résonnent par une attitude commune de contraction et d’expansion simultanées de leur travail. Ici, l’œuvre refuse de rester un simple objet à contempler ; elle devient un élément qui cherche à modifier et articuler à la fois l’espace et l’expérience du spectateur — capable de se libérer de l’impulsion sentimentale ou biographique d’origine de l’artiste.

Ces œuvres, dans leur diversité, mettent en jeu différents types d’articulation : certaines précises, d’autres poreuses ; certaines fixes, d’autres ouvertes à la dérive. Ensemble, elles forment un système en mouvement — une exposition qui fonctionne comme un corps d’articulations.

— Corinna Gosmaro