© Credits photo: Nicolas Brasseur
Louise Vo Tan développe une pratique qui associe vidéo, installation et composition sonore. Son œuvre explore les zones de tension entre technologie et archaïsme, entre violence et harmonie, révélant les mécanismes invisibles qui gouvernent nos sociétés. Elle s’intéresse aux espaces clos, réglementés ou inaccessibles, où se décident les formes matérielles et symboliques du pouvoir.
Pour son exposition à la galerie Bremond Capela, Louise Vo Tan présente Soft Power, une installation vidéo et sonore composée de deux cubes. Chacun renferme un écran et des haut-parleurs, formant ensemble une seule et même œuvre : une structure scénique, presque opératique, où image et son s’entrelacent dans une partition non linéaire. Reliés à un programme central, les deux modules alternent entre synchronie et décalage, silence et saturation, produisant une composition vivante, jamais identique à elle-même.
Le projet trouve son origine dans une immersion de l’artiste au Banc National d’Épreuve de Saint-Étienne, l’unique centre en France habilité à tester, certifier, neutraliser et détruire les armes à feu civiles. L’accès à ce lieu, strictement encadré et interdit au public, a nécessité un long travail de demande d’autorisations, de négociation et de préparation. Cette démarche, au croisement du documentaire et de la performance, fait partie intégrante du processus de l’artiste : en cherchant à franchir ces seuils institutionnels, Louise Vo Tan s’expose elle-même à l’expérience du contrôle et de la contrainte qu’elle filme. Les traces administratives de ces démarches, protocoles, courriels, formulaires ; constituent d’ailleurs une forme d’archive parallèle, parfois intégrée à d’autres œuvres.
Dans cet espace hautement réglementé, à la fois technique et secret, elle filme les gestes de contrôle, les protocoles de destruction et la mécanique d’une violence domestiquée. Ses images rendent visible ce qui échappe habituellement au regard : la transformation d’objets conçus pour tuer en matière inerte, la beauté paradoxale de gestes destinés à contenir la violence.
La bande sonore, composée par l’artiste à partir d’enregistrements réalisés sur place, épouse le rythme des opérations de neutralisation : chocs métalliques, détonations, frottements deviennent matière musicale. Par ce travail de transposition, la violence mécanique se mue en langage sensible — une écoute du monde, à la fois physique et méditative.
Soft Power repose sur un dispositif algorithmique générant des séquences d’images et de sons aléatoires. Les deux cubes, tour à tour actifs ou silencieux, semblent respirer, comme animés d’une vie propre. L’installation agit ainsi comme une machine de perception : un organisme qui observe, mesure et résonne.
Avec Soft Power, Louise Vo Tan questionne la manière dont nos sociétés exercent la force sous des formes invisibles, rationalisées, esthétiques. Elle révèle ce pouvoir feutré qui régit les corps et les objets sous couvert de sécurité et de contrôle. Dans l’espace de la galerie, le spectateur est confronté à une expérience à la fois sensible et politique : une méditation sur la transformation de la violence en spectacle et sur la beauté trouble des dispositifs de pouvoir.